Papi Dutsch : Le dernier rescapé du « docteur » Mengele
Papi Dutsch est une vedette à Ashdod. Non pas de celles qui sont louées à Londres ou Hollywood, mais il existe une autre forme de vedettariat qui conjugue saine popularité, admiration humaine et compassion. C’est un rescapé d’Auschwitz. Cet homme a aujourd’hui soixante-quatorze ans. Il est enjoué, d’humeur toujours égale, et bien que ne supportant pas la pitié de ses semblables, il ne repousse jamais ni un salut, ni un sourire complice, ni une main sur l’épaule, même quand elle est condescendante. Son nom, il refuse qu’il soit publié, de la même façon qu’il l’a refusé à Yossi Sarid, ancien Secrétaire général du Meretz (gauche radicale), qui a écrit un livre basé sur son témoignage. Son histoire, la voici !
Il a quatre ans lorsqu’il est raflé par la Gestapo en Hongrie. En arrivant dans le camp de la mort, il est sélectionné par le funeste Docteur Josef Mengele qui effectue sur son corps d’enfant d’ignobles manipulations médicales. Le médecin tente plusieurs expériences sur son cerveau, puis abandonne cette voie pour s’intéresser aux organes vitaux de l’enfant, foie, reins, poumons. Le revirement du plus illustre praticien du mal est peut-être ce qui a sauvé l’enfant. En 1945, lors de la libération du camp par les Soviétiques, Papi Dutsch a cinq ans. Il sort de l’infirmerie abandonnée par ses tortionnaires, fait quelques pas et s’écroule sur le sol. Nous sommes en janvier. Il fait un froid saisissant dans ce camp qui a vu mourir un millions de Juifs. Le gamin a le nez planté dans la neige, inanimé. Les rescapés qui marchent près de lui l’évitent, habitués à la souffrance et à la mort, ne jetant sur l’enfant qu’un regard de fantôme. Leur indifférence témoigne de l’inhumanité dont les nazis ont imprégné leur âme.
Qui a jeté un regard sur cet enfant ?
Un jeune homme qui n’a pas encore vingt ans passe devant son corps. Il s’arrête, écoute son cœur qui bat lentement et prend l’enfant dans les bras. Il l’amène aux autorités qui le prennent en charge et le soignent. Mengele lui a fait quelques piqures dans le cerveau pour tester son endurance à la douleur, ce qui explique que le gosse est dans le coma. Les étapes qui le conduisent au rétablissement sont longues et pénibles. Son sauveur vient le voir tous les jours. Après avoir vérifié que ses parents ont tous disparus, il se fait passer pour son grand frère de façon à veiller sur lui. Au printemps 1945, ils sortent tous les deux. Le jeune homme décide de garder papi Dutsch près de lui. Après quelques années de dur labeur, il accumule suffisamment d’argent pour ouvrir un bar, son rêve d’enfant. Mais un jour, une bande de malfrats entrent dans le bar, consomment et boivent une bonne partie de la nuit, et, au moment de payer, ils le tuent. Papi Dutsch se retrouve seul. L’Américain Joint le prend à sa charge, puis lui trouve un foyer d’accueil dans un Kibboutz. Aujourd’hui, il touche une retraite et une allocation de rescapé. Il ne fait jamais allusion à son passé auprès de ses amis, mais l’un d’eux a fait un jour cette confidence : « On ne sait jamais s’il sourit pour dissimuler sa détresse ou parce qu’il se sent protégé, presque invulnérable ? » Et d’ajouter : « Mais l’immensité de son malheur, c’est sûr qu’il la cache ! »