Le bonheur des archéologues sur le chantier de fouilles de Megiddo
Découvrons l’impressionnant site archéologique de Megiddo, avec notre guide le Prof. Israël Finkelstein du Département d’archéologie de l’Université de Tel-Aviv, co-directeur du chantier depuis vingt ans.
Megiddo est l’un des plus importants sites archéologiques en Israël et dans tout le Levant pour l’âge du bronze (3300 à 1200 BCE[1]) et du fer (1200 à 586 BCE – destruction du premier temple et exil à Babylone), c’est-à-dire la période biblique. Située en Basse-Galilée, en surplomb de la vallée de Jezréel, silo à grains de l’Israël antique, l’ancienne ville de Megiddo dominait les principales routes commerciales et militaires reliant l’Assyrie, Byblos et l’Egypte (la Route de la Mer, qui deviendra la Via Maris des Romains). C’est pourquoi on y retrouve des traces de peuplement allant du 7e millénaire jusqu’à 500 BCE, soit un empilement de couches archéologiques de 35 civilisations.
« Une icône culturelle »
Pour cette raison, le site de Megiddo a été le plus fouillé du Levant, depuis la mission de la German Society for Oriental Research (1903-1905) aux fouilles d’Yigaël Yadin dans les années 60, en passant par la grande expédition de l’Université de Chicago en 1925, financée par une donation de la famille Rockefeller. Les fouilles actuelles sont menées depuis 1994 par l’Université de Tel-Aviv, en collaboration avec l’Université de Pennsylvanie, et plus récemment le Collège de France. Le site comportant le plus de monuments intacts de la période biblique en Israël, l’Unesco l’a inclus en 2004 dans la liste du Patrimoine mondial comme représentant le monde de la Bible. Sur le chantier travaillent des étudiants de deuxième et troisième cycles de l’Université de Tel-Aviv et de diverses universités dans le monde.
Megiddo, explique le Prof. Finkelstein, est mentionnée dans toutes les archives étudiées par les historiens et les archéologues: les écrits bibliques, les inscriptions égyptiennes (période du bronze) et les sources assyriennes, car elle devient la capitale de l’Assyrie après la chute du royaume d’Israël en 722 BCE. Dans le nouveau Testament, Megiddo est le lieu de l’Armageddon (déformation de son nom hébreu ‘Har Megiddo’, la colline de Megiddo), où se déroulera la dernière bataille entre les forces du Bien et celle du Diable.
« Megiddo est une icône culturelle », explique le Prof. Finkelstein qui rappelle qu’elle fut choisie pour la première visite en Israël du représentant officiel de l’Eglise catholique, le pape Paul VI, en 1964. (« Je viens à vous de la ville éternelle de Rome », avait déclaré celui-ci au Président Shazar qui avait alors répondu « Et moi, je viens à vous de la cité éternelle de Jérusalem, capitale de David, vers Megiddo, capitale de Salomon »).
Un tombeau royal
Comme le précise le Prof. Finkelstein, les fouilles de Megiddo se concentrent sur deux périodes différentes de l’histoire : celle de l’âge du bronze (3000-1200 BCE), période cananéenne, où la ville fut le riche centre de l’administration égyptienne du pays de Canaan, et celle de l’âge du fer, période des rois d’Israël. Les fouilles de l’Université de Chicago ont révélé la stratification chronologique du site et mis à jour les principaux monuments visibles aujourd’hui: l’enceinte sacrée, les fortifications monumentales et les portes (période du bronze), le système hydraulique souterrain les palais et les écuries (période du fer). « Malheureusement les méthodes de travail à cette époque était très différente des nôtres », rappelle le Prof. Finkelstein. « Les archéologues de l’Université de Chicago ont excavé jusqu’à la roche avec des bulldozers, sectionnant tout le haut du tell, soit près de deux mètres. Aujourd’hui nous creusons très lentement, pas plus de 10 cm par semaine, et le moindre vestige trouvé est daté au carbone 14, par des méthodes de plus en plus précises. L’importance du site justifie un réexamen de la chronologie par les méthodes utilisées de nos jours ».
La découverte la plus récente mise à jour par les équipes du Prof. Finkelstein lors de la dernière saison de fouilles en 2016 est un ensemble de tombeaux, dont l’un, monumental, surnommé le « tombeau royal », dans lequel ont été déterrés de nombreux bijoux en or et ivoire, est l’un des plus grands et des plus riches de la période trouvés en Israël. Les nouvelles méthodes utilisées par les chercheurs, comprenant notamment la biologie moléculaire, ont permis d’analyser l’ADN d’échantillons osseux de deux hommes trouvés enterrés parmi les tombeaux, révélant qu’ils étaient frères, âgés l’un de 25 ans l’autre de 35, tous deux atteints d’une maladie osseuse. Les chercheurs pensent que ces tombeaux faisaient partie d’un cimetière réservé aux personnes influentes de l’entourage du roi. Par ailleurs, l’analyse des vestiges végétaux trouvés aux alentours indiquent l’existence probable d’un jardin à proximité du palais.
Des traces de vanille
« Les vestiges que nous avons dévoilés sont analysés dans les laboratoires du monde entier », explique le Prof. Finkelstein, qui signale notamment que l’une des trouvailles les plus curieuses sont des traces de vanille, apparemment importée d’Inde en 1600 BCE lorsque le pays de Canaan était sous le contrôle des Egyptiens. « Grâce à l’utilisation des technologies modernes notre lecture archéologique et historique est aujourd’hui moins simpliste », commente-t-il. « D’ailleurs le nom du premier roi de Megiddo dont la trace a été retrouvé dans les lettre d’el-Amarna en Egypte, au XIVe siècle BCE, Biridiya, indique également son origine indo-iranienne ».
« L’archéologie est une science expérimentale en trois dimensions. Ces dernières années se déroule une véritable révolution dans la transcription des découvertes. Nous possédons des logiciels qui nous permettent de reconstruire des modèles en 3 D très précis que nous réactualisons chaque jour. De plus des drones photographient périodiquement le site à partir d’en haut pour reconstituer un modèle global ».
Le site de Megiddo est au centre de controverses entre les archéologues : « Il existe un conflit sur la datation de certains des monuments découverts à Megiddo », explique le Prof. Finkelstein, « mais la datation au carbone 14 nous permet d’être de plus en plus précis ». Ainsi la porte principale de la ville attribuée par Yigaël Yadin à Salomon, devenue un symbole de la grandeur de celui-ci, aurait en fait été construite par Jeroboam II au 8e siècle BCE. « Son rôle n’est que peu évoqué dans la Bible, mais c’était pourtant un roi puissant qui a régné pendant 45 ans». De même les palais attribués à Salomon par Yigaël Yadin sont en fait postérieurs, et dus au roi Omri, fondateur du royaume d’Israël.
Ce n’est pas le seul présupposé archéologique contredit par le Prof. Finkelstein: selon lui, des deux royaumes rivaux qui ont coexisté entre 931 et 720 BCE, celui de Juda et celui d’Israël, le second était dominant : « Les deux royaumes ont coexisté en tout et pour tout durant 200 ans, et pendant 100 ans, c’est celui d’Israël qui a dominé, alors que la Bible présente les rois de Judée comme prépondérants », dit-il.
Première manifestation de la vie urbaine
A côté des palais, le site de Megiddo présente également des zones de peuplement dont l’étude permet d’entrevoir la vie quotidienne des habitants: « Nous avons ici la plus intéressante manifestation de la première vie urbaine au Levant, quelque chose d’unique dans l’histoire humaine », commente le Prof. Finkelstein. « Ce que vous voyez ici est le meilleur de ce que l’archéologie peut proposer : à la fois une coupe transversale ‘verticale’, chronologique, de 4000 ans d’histoire à travers des niveaux de cultures et civilisations différentes, et une approche « horizontale » ou multi-facettes de chaque période permettant une comparaison anthropologique de la vie dans les palais et à l’extérieur, au sein de la population de la ville ».
A ce propos il rappelle une des ses récentes études en collaboration avec le Prof. Eliezer Piasetzky de l’Ecole de physique de l’UTA qui, basée sur l’analyse informatisée de 16 inscriptions trouvées sur le site de Tel Arad, forteresse militaire située dans une zone périphérique du royaume de Judée, a conclu à un niveau d’alphabétisation élevé de la population de la Judée à la fin du 7e siècle BCE. Outre l’analyse informatique, le Prof. Finkelstein s’aide également des méthodes de recherche en sciences de la vie, notamment de l’analyse génétique, qui a permis d’extraire la composition ethnique des habitants, entre autre de constater qu’une partie de la population de la ville de la période du bronze venait du Caucase, découverte en adéquation avec l’origine du nom du premier roi de Megiddo.
Enfin, pour le Prof. Finkelstein, l’origine du discours eschatologique (sur la fin du monde) et messianique viendrait de l’évènement qui est à ses yeux le plus important parmi les nombreux épisodes bibliques qui se sont déroulés à Megiddo : la mort en 609 BCE de Josias, 16e roi de Judée, exécuté ou tué sur le champ de bataille par les Egyptiens selon les versions. Josias, à l’origine d’un retour du peuple de Judée vers la religion, après les exactions de ses prédécesseurs, est considéré comme le dernier roi légitime du royaume de Judée. Sa défaite à Megiddo marque la fin du règne de la lignée de David, le début de la résurgence du contrôle de l’Egypte sur la région, et la montée de l’empire babylonien. D’où selon le Prof. Finkelstein, l’origine de la tradition chrétienne de l’Armagedon, la catastrophe, qui sera aussi le lieu de la rédemption.
Professeur au Département d’archéologie et des civilisations du Proche-Orient antique de l’Université de Tel-Aviv, le Prof. Israël Finkelstein est détenteur de la chaire d’archéologie de l’ancien Israël à l’âge du bronze et du fer. Il est membre de l’Académie israélienne des Sciences et des lettres et ‘correspondant étranger’ de l’Académie française des Inscriptions et Belles Lettres depuis 2014.
Lauréat du Prix Dan David 2005, il a été nommé en 2009 Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre français de la Culture. Il est lauréat du Prix Delalande Guérineau décerné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour son livre Le royaume biblique oublié. Considéré comme l’un des principaux spécialistes du Levant dans le monde, il est connu pour l’usage de méthodes de recherche de pointe, combinant l’exégèse traditionnelle des textes avec l’informatique et les sciences de la vie.
[1] BCE : Avant l’ère commune (Before Common Era en anglais, équivalent de avant JC)
SOURCE: Site de l’Association française de l’Université de Tel-Aviv