La loi du retour ou qui peut faire son Alyah ?

Les partis religieux sionistes s’associant aux partis orthodoxes élus aspirent à modifier la Loi du Retour, particulièrement la clause concernant les personnes qui auraient dans leur arbre généalogique au moins un parent ou un grand-parent juif leur permettant de faire leur Alya, soit de monter en Israël. Or, selon la Loi juive orthodoxe, seule une personne née directement de parents juifs ou ayant une mère juive est considérée comme juive et a le droit de monter en Israël. Quelle peut être la portée d’un tel amendement ? L’urgente nécessité d’un tel amendement est-elle légitime ? Par Haïm Ouizemann pour Israel Magazine.

Est-il légitime d’amender la loi du retour par l’abolition de la « clause des petits-enfants» ? Cette interrogation complexe, chargée émotionnellement et qui suscite polémique en Israël, doit être replacée dans son contexte historique. Cette loi votée en 1950 octroie à tout Juif le droit de revenir sur la terre de ses ancêtres, Erets Israël, et d’obtenir la citoyenneté israélienne en vertu des principes fondamentaux inscrits dans la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël :

1-      « L’Etat d’Israël est un Etat juif » ;

2-      « Les Juifs du monde entier sont des citoyens en potentiel de l’Etat d’Israël et détiennent donc le droit d’y faire leur Alya ».

Mais les législateurs, introduisant le terme « Yehoudi » (Juif) au cœur de la Loi du Retour, ne le définissent en aucune façon et créent, par voie de conséquence, un espace favorisant l’interprétation de la justice israélienne. Ainsi en 1958, le ministre travailliste de l’Intérieur Israël bar Yehouda, ordonne au bureau du Registre de la population d’inscrire comme Juif « toute personne déclarant de bonne foi être Juif et ne demander aucune preuve supplémentaire » de sa Judaïté.

Grave crise alors au niveau gouvernemental, le parti religieux sioniste, le Mafdal, démissionnant du gouvernement en juillet. David ben Gourion se tourne, alors, vers «les cinquante Sages d’Israël » (‘Hakhmey Israël) afin d’apporter une définition consensuelle sur la question épineuse de « qui est Juif ? ». Ces cinquante Sages d’Israël des rabbins, intellectuels et penseurs de renom, se prononcent en faveur de la définition halakhique, autrement dit, n’est Juif que celui qui est né d’une mère juive ou converti au Judaïsme, selon le mode orthodoxe.

Deux affaires défraient la chronique

Ben Gourion, réélu en 1959, ordonne à son ministre de l’Intérieur, Moshe Shapira du Mafdal, de n’octroyer la citoyenneté israélienne qu’à ceux qui prouveront leur Judaïsme par la mère ou la conversion orthodoxe. La question « qui est Juif ? » semble résolue. Deux affaires, l’une relative au « frère Daniel » (1962), l’autre relative à Benyamin Shalit» (1970) ébranlent Golda Meïr. La Cour suprême, s’opposant à la Halakha, tranche en faveur de Shalit qui, marié à une non-juive, déclare vouloir éduquer ses enfants comme Juifs, alors que son épouse reconnaît ne s’identifier à aucune religion.

Selon les juges, le terme « Yehoudi » (Juif) ne peut en aucun cas être interprété dans un sens religieux mais laïc en vertu de la clause de la loi sur la nationalité. La Cour Suprême réintroduit la vision qui fut celle d’Israël bar Yehouda. Cette décision, mal perçue et fortement critiquée par le public israélien, conduit Golda Meïr à trouver un compromis selon les termes duquel le droit à la citoyenneté israélienne et à l’immigration, l’Alya, sera octroyé à toute personne capable de prouver qu’elle a au moins un grand-parent juif et non plus seulement une mère juive.

C’est ce que l’on appellera « la clause des petits-enfants » introduite dans la Loi du Retour. Cette clause restée discrète revient sur les devants de la scène dans les années 90 au moment même où près d’un million de Juifs russes et ukrainiens et parmi eux des non-Juifs montent en Israël après la dislocation de l’ex-Union soviétique.

« La clause des petits-enfants »

La Loi du Retour avec la clause fut la plus disputée du mandat du Premier ministre Netanyahou. La gauche radicale voulait éradiquer cette loi la jugeant discriminatoire pour ne point dire « raciste » alors que les religieux orthodoxes, s’appuyant uniquement sur la Loi juive, ne voulaient pas intégrer les mouvances juives réformistes majoritaires aux Etats-Unis.

Si la Halakha, importante pour la vie juive, a réussi à préserver l’unité du peuple juif tout au long de son exil, pouvons-nous aujourd’hui construire un Israël moderne exclusivement sur les bases de la Halakha sans risque de fracturer la société ? Ne risquons-nous pas en rejetant certaines tendances de la judéité, en particulier les libéraux et les conservateurs, en majorité aux Etats-Unis, de créer une discrimination et d’accélérer le processus d’assimilation, menace déjà bien réelle ? Être juif se résume-t-il à la pratique orthodoxe de la Halakha ?

En d’autres termes, pouvons-nous définir le Judaïsme stricto sensu selon l’unique définition du Judaïsme orthodoxe et ultra religieux, telle qu’elle le fut pendant les deux mille ans d’exil ? N’est-il pas plutôt et essentiellement une Nation où toutes les composantes d’Israël dans leur diversité plurielle seraient capables de dialoguer, alors même que l’antisémitisme et le radicalisme musulman resurgissent de façon virulente dans le monde, pour attaquer sans distinction de tendance tout Juif, qu’il soit orthodoxe ou libéral ?

Le Retour des descendants de Juifs

Le député Israël Shlomo ben Meïr du Mafdal disait en 1970, lors du compromis accepté par Golda Meïr : « Le Retour des descendants de Juifs au rocher juif d’où ils furent taillés, en Israël, même s’ils ne sont pas juifs sur le plan de la Halakha, constitue l’accomplissement de la Mitsva (du devoir biblique) ‘les enfants reviendront dans leur frontière’ (Jérémie 31 : 16). Autrement dit, les propos de ce député, l’un des plus importants du Mafdal, expriment l’idée profonde qu’il ne nous est pas possible de rejeter celles et ceux qui, si certes ils n’entrent point dans le cadre strict de la Halakha orthodoxe, continuent à entretenir un lien ne serait-ce que ténu avec leur passé, s’expliquant par deux mille ans d’exil au cours desquels les mariages mixtes et l’assimilation ont effacé toute trace d’identité juive.

Ils doivent toutefois être intégrés comme citoyens israéliens à part entière sans aucune discrimination. Cependant la vision d’Israël Shlomo ben Meïr, encore valable dans les années ’70 du siècle précédent, n’est-elle point nuancée dès lors que, selon les chiffres officiels de l’Etat d’Israël, depuis le début de la grande Aliyah historique des Russes et des Ukrainiens à partir de 1990 en Israël, il apparaît que non seulement entre 50% et jusqu’à 75% d’Olim ne sont pas considérés comme Juifs selon les critères de la Halakha ou ne sont en rien Juifs. Mais en plus, ils n’éprouvent aucun désir de faire partie intégrante du peuple juif, tout en affirmant vouloir rester Israéliens.

Conversion en masse ?

 Cette « clause des petits-enfants », explicable dans les années 1970-1990, est-elle légitime aujourd’hui ? Ne remet-elle pas en question le principe de la Loi du Retour réservée uniquement aux Juifs ? Nataniel Fisher, ex-conseiller du ministre Moshe Nissim sur la question de la conversion, explique dans un article dans Makor Rishon (19/12/2022)[1] que la conversion en masse n’est pas envisageable.

Convertir plus de 500 000 non-Juifs vivant en Israël est impossible car la conversion demeure une décision personnelle. La menace de l’assimilation n’a jamais été aussi grande en Israël. C’est la raison pour laquelle une opportunité politique s’ouvre au bloc de la droite israélienne et à Benyamin Netanyahou de revenir à la Loi du Retour initiale réservée uniquement aux Juifs du monde entier dans le dessein de protéger le peuple hébreu d’une assimilation progressive au sein même des frontières de l’Etat hébreu.   

Benyamin Netanyahou suivra-t-il l’avis de sa coalition religieuse ? Conduira-t-il la réforme jusqu’au bout sur cette question explosive de la «clause des petits-enfants » qu’il aurait très certainement préféré ne pas aborder ? Toute modification du statu quo actuel menace-t-il la fragile unité du peuple d’Israël dans son rapport à la Diaspora ? Les jours le diront…

SOURCE: ISRAEL MAGAZINE

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Andre Darmon

Andre Darmon, romancier, est le rédacteur en chef d'Israël Magazine. Israël Magazine 25 ans déjà de présence dans le paysage médiatique franco-israélien. Andre une voix journalistique à part, originale, sioniste, juive mais aussi professionnelle.

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